"Nous sommes faits de l'étoffe dont sont tissés les vents."
Dès le début, on découvre le roman par ce qui en fait sa singularité : une mise en scène unique du texte, une poésie spirituelle et une empathie profonde pour les personnages. « Nous sommes faits de l’étoffe dont sont tissés les vents » est une des phrases introductives qui, finalement, résume très bien ce roman. Une réflexion intime sur le vent et notre construction physique et spirituelle, et plus encore, une pensée de notre « moi » profond en tant que « nous ».
La Horde du contrevent est le récit intime de 23 femmes et hommes qui ne forment qu’une et même troupe et contrent le vent, pendant des dizaines d’années, pour tenter d’atteindre l’Extrême-Amont. 33 autres Hordes ont déjà entrepris ce trajet avant eux mais aucune d’entre elles n’y est arrivé. Détruites, mortes, dissoutes avant leur arrivée, elles sont le résultat de 8 siècles d’ordonnance de la Hordre qui tente, en vain, de savoir si leur rêve d’Extrême-Amont existe bel et bien. Mais cette fois-ci, la 34ème Horde du contrevent pourrait bien y arriver. Avec 3 années d’avance et une équipe soudée faite d’éléments incroyables, elle est promue à un grand avenir. Encore faut-il arriver jusqu’au bout, et pour cela traverser des épreuves difficilement imaginables, tant physiques que mentales. Arriveront-ils jusqu’à l’Extrême-Amont pour découvrir l’origine du vent ?
Le vent est donc le thème filé tout le long de l’histoire, et c’est ce que poursuivent indéfiniment ces femmes et hommes en le contrant. Alain Damasio met d’abord en place une mise en forme saisissante : une ponctuation pour représenter des périodes de vent, un signe par hordier pour indiquer le narrateur ou les formations de la troupe, mais aussi une pagination qui va de 700 à 0.
C’est aussi cette pagination inversée qui représente avec la plus grande simplicité la quête qu’entreprennent les personnages. Une quête d’un lieu, celui d’un paradis rêvé et fantasmé, et une quête de sens, intimement lié à la première. Chaque personnage, dans sa plus grande profondeur, tente de trouver les huitième et neuvième formes de vent, tout en se cherchant soi-même. C’est à travers cette longue quête éreintante qu’ils vont tenter de le faire, avec hargne, parfois découragement, mais toujours avec volonté. Dans un paysage frappé et modelé avec agressivité et douceur par un vent, personnage à part entière, chacun va rencontrer le vent dans sa plus grande dureté, mais aussi se rencontrer soi.
Ainsi, La Horde du contrevent place chacun au centre de soi-même, on alterne les points de vue de façon déroutante mais pleine de sens. On s’attache à chacun, comme à une famille. On comprend aussi peu à peu ce monde qui nous entoure, pas si loin d’être le nôtre, dans une altérité élégante, ou parfois effrayante.
Cette quête de soi nous offre ainsi une métaphysique plus large sur le vent, ce qu’il symbolise aussi, sur cette quête insensée qui nous rapproche de nos questionnements les plus profonds sur notre vie. Où est le sens à cette existence, où est le sens de la quête, sinon dans le fait même de partir en quête ?
Finalement, le récit nous interroge sur ce qui nous permet d’être avec les autres. Sur ce qu’on est avec les autres. La Horde est une seule et même entité qui continue de vivre même amputée. Elle est le nœud intense et vibrant, vif, de vies qui se sont accrochées et continuent d’être ensemble. On vit par et à travers les autres, comme ils vivent à travers nous. C’est dans ce besoin profond et unique qu’on peut espérer se trouver, comme le font les personnages, tous plus saisissants les uns que les autres. Alain Damasio nous remet à notre besoin et notre première vitalité : l’autre.
Le tout, enfin, est porté par un vrai souffle, une poétique au rythme intense, variable selon la voix. L’écriture est très picturale, on entre dans un univers construit avec soin, des paysages à sa géographie, de son vocabulaire à son fonctionnement. Les enjeux sont physiques et spirituels, extérieurs et intérieurs, mais aussi politiques, relationnels, artistiques. C’est un univers-monde fort et singulier que construit Alain Damasio par une imagination inépuisable et une esthétique pure et sensible.
La Horde du contrevent livre ainsi un récit à 23 voix incroyable. Sa complexité d’abord difficile à maîtriser peut parfois faire perdre une certaine émotion mais offre surtout au roman une richesse et une intertextualité forte. Son souffle et sa richesse imaginative permettent une adhésion fascinante au livre. On n’en décroche qu’au dernier souffle, infiniment intérieur, quand on comprend enfin, dans une magnifique cruauté et une douce mélancolie, où est-ce que chacun est enfin arrivé. Extrême-Amont ou pas, la quête en aura été sublime.
Sélectionné pour le prix La Voix des Blogueurs #3
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Par Alain Damasio
Aux éditions La Volte
Édité en poche chez Folio SF
736 pages
10€90
Édité en poche chez Folio SF
736 pages
10€90
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