Miss Dumplin, Julie Murphy | Un grand roman tout en finesse
Un roman très bien écrit, moderne et addictif qui parle avec justesse de l'importance du regard de l'autre.
Miss Dumplin est un gros roman qui traite avec une grande finesse du thème de la rotondité (hé oui). Willowdean et son histoire (surtout son histoire) réussissent à surprendre là où on croit qu’elles vont échouer. On a souvent peur de ces romans de réalisme contemporain un peu faciles (et souvent américains) qui se tentent au traitement d’un sujet dit « difficile » à l’aide une histoire tendre et caustique à la fois (à la John Green en fait). Et… c’est tendre et caustique. Mais même si on s’y attendait un peu, ça surprend. De manière absurde, on est surpris parce qu’on s’attendait à ne pas l’être, mais aussi – et surtout – on est surpris par la finesse du roman. Et j’utilise ce mot en dehors du jeu de mot : le roman est réellement empreint de ce caractère de finesse, c’est à dire extrêmement intelligent et jamais facile qui permet à l’auteure d’aborder cette histoire.
Note : Miss Dumplin se nomme en français « Miss Boulette ». En effet, dumplin signifie en français boulette, mais par un souci, me semble-t-il, d’un titre peut-être plus auditivement agréable (et pour rester dans la tendance du titre anglais), les éditeurs français n’ont pas osé appeler ce roman « Miss Boulette ». Il aurait pourtant tant gagné à se nommer ainsi. Certes, on aurait pu y voir peut-être – seulement peut-être – plus de maladresses que de kilos, une miss catastrophe plutôt qu’une miss grosse. Néanmoins ces deux mots auraient pu résumer avec superbe et à eux seuls (seulement deux mots ! moins que « s’il te plaît » ou « je t’aime ») le roman. L’élégance de la miss mise à côté du côté dérangeant et maladroit (finalement) mal taillé de la grosse. Un très bel antonyme selon notre société actuelle qui tique et pique, antonyme que cherchent finalement Willow et ses amies dans le livre.
Vous avez remarqué ? J’ai appelé Willowdean alias Boulette « Willow ». Parce que Willowdean, étrangement, c’est pour les intimes. Les intimes comme Bo. Bo, c’est le beau gosse attentionné qui travaille au fast-food avec Willow. Et très vite, le beau Bo (hé oui bis, miss) se rapproche de Willow. Ils s’embrassent, et alors qu’il s’apprête à toucher ses hanches, voire ses seins, Willow prend peur, se braque, est gênée. Elle n’arrive pas à se faire à l’idée qu’il touche ses bourrelets, elle se sent soudain vraiment… grosse.
C’est dans tout ce moment que réside la grande question du roman qui m’a personnellement vraiment interrogé. Est-ce que c’est vraiment ce qu’on ressent ? Est-ce que, si tu es grosse, moche, petit, grand ou boiteux, tu ne peux pas aimer une personne mince, belle, grande, petite, ou pas boiteuse ? Ou plutôt, te montrer aux autres à ses côtés ?
En effet, Willow a une assurance certaine, elle se sent heureuse dans ce corps un peu disproportionné. Elle a ce ton direct et en même temps un peu décalé qui lui sied à merveille et qui nous donne cette impression fugace et délicieuse qu’on est aussi à notre place. Là où on est avec ce qu’on est. En fait, ce ton direct coule de source. La narration en devient très fluide mais toujours subtile. L’héroïne raconte avec une voix simple et moderne, mais jamais simpliste : elle va toujours dans le détail. Elle dit toujours la particularité d’un personnage ou le détail d’une émotion. C’est pour ça que ça touche, parce qu’on est près, vraiment près. Immergés avec délice.
Ainsi, cette assurance à la Willow(dean) est remise en question à partir du moment où elle se confronte, sans s’y attendre, au fait d’être et de se montrer en couple. La très forte et impressionnante Willow tombe, s’effrite : elle passe de la force à la faiblesse. Si le schéma est classique, il en est intéressant, parce que le roman interroge alors vraiment sur le regard de l’autre. Comment on peut rester soi malgré la société ? Peut-on s’accepter quand les autres ne t’acceptent pas forcément ?
Et au fur et à mesure que Willow s’effrite, il ne reste plus qu’une solution : faire ce que personne n’attend d’elle, voire ce que tout le monde ne veut pas qu’elle fasse. Cet antonyme dont je parlais, Willow, avec ses amies soi-disant brinquebalantes aussi (grosses, boiteuses, dentues), va le mettre au grand jour en s’inscrivant au concours de beauté de sa ville, présidé depuis des années par sa mère, créature filiforme épatante et adulée pendant quelques semaines tous les ans.
Néanmoins, Willow déçoit un peu. Si c'est intéressant qu'elle se fendille du fait du regard de l'autre, c'est beaucoup plus dérangeant que ce soit face à un regard éminemment masculin, quasi caricature du beau jeune homme américain tout à fait gentil (mais pas sexiste pour un sou, avec une vraie épaisseur, ce qui nuance et rattrape la perfection fade des bases de sa construction). Ce dévouement au regard de lui donne une autre ambiance au roman qui devient parfois un discours quotidien de problèmes sentimentaux où elle vit pour et par le garçon. Et elle agace, Willow, avec ses problèmes dont elle se plaint sans jamaisbouger son - agir, alors qu’elle échappait aux clichés avec finesse, elle s’émancipait des autres et des diktats de la société. Mais si Boulette agace (vraiment), on se demande néanmoins si notre réaction en tant que lecteur est légitime. Comment se mettre dans la peau de ce personnage ? Comment comprendre sa réaction ? Mais n’est-ce pas elle qui, au lieu de se morfondre, devrait passer outre le regard des autres ? En tant que lecteur, Willow nous prend donc entre deux feux : l’interrogation profonde sur le regard de l’autre et le fait d’être gros dans notre société, face à cette irritation liée au fait de voir un personnage si fort et sûr de lui-même prendre des décisions tant immatures.
Il y a un personnage, néanmoins, qui, toujours fidèle à lui-même, échappe aux clichés, aux diktats, et peut se vanter de rester soi. Le personnage de Mitch, (petit) ami de Willow, est un vrai beau personnage comme on en croise rarement en littérature. Il est juste, amical, parfois un peu maladroit et brusque, parfois un peu collant, mais toujours simple, tendre et fidèle à ce qu’il croit. Et il a le mérite de pouvoir afficher sa liberté d’être en se battant contre les stéréotypes du genre masculin qu’il dénonce pour notre plus grand plaisir.
Avec lui comme avec d’autres personnages, de vraies relations se tissent. Nous parlions de finesse et c’est aussi ici qu’elle se loge, dans les fils tendus entre les différents personnages qui se confrontent les uns aux regards des autres. Et même les caricatures et discours sentimentaux dérangeants servent ici au récit avec habilité.
Willowdean est ronde, et alors ? Pas besoin d’être super slim pour s’assumer. Jusqu’au jour où elle rencontre Bo, qui porte un peu trop bien son nom, et ne tarde pas à lui voler un baiser. Mais peut-il vraiment l’aimer ? On lui a tellement dit que les filles comme elle ne sont que des seconds rôles.
Vous avez remarqué ? J’ai appelé Willowdean alias Boulette « Willow ». Parce que Willowdean, étrangement, c’est pour les intimes. Les intimes comme Bo. Bo, c’est le beau gosse attentionné qui travaille au fast-food avec Willow. Et très vite, le beau Bo (hé oui bis, miss) se rapproche de Willow. Ils s’embrassent, et alors qu’il s’apprête à toucher ses hanches, voire ses seins, Willow prend peur, se braque, est gênée. Elle n’arrive pas à se faire à l’idée qu’il touche ses bourrelets, elle se sent soudain vraiment… grosse.
C’est dans tout ce moment que réside la grande question du roman qui m’a personnellement vraiment interrogé. Est-ce que c’est vraiment ce qu’on ressent ? Est-ce que, si tu es grosse, moche, petit, grand ou boiteux, tu ne peux pas aimer une personne mince, belle, grande, petite, ou pas boiteuse ? Ou plutôt, te montrer aux autres à ses côtés ?
En effet, Willow a une assurance certaine, elle se sent heureuse dans ce corps un peu disproportionné. Elle a ce ton direct et en même temps un peu décalé qui lui sied à merveille et qui nous donne cette impression fugace et délicieuse qu’on est aussi à notre place. Là où on est avec ce qu’on est. En fait, ce ton direct coule de source. La narration en devient très fluide mais toujours subtile. L’héroïne raconte avec une voix simple et moderne, mais jamais simpliste : elle va toujours dans le détail. Elle dit toujours la particularité d’un personnage ou le détail d’une émotion. C’est pour ça que ça touche, parce qu’on est près, vraiment près. Immergés avec délice.
Ainsi, cette assurance à la Willow(dean) est remise en question à partir du moment où elle se confronte, sans s’y attendre, au fait d’être et de se montrer en couple. La très forte et impressionnante Willow tombe, s’effrite : elle passe de la force à la faiblesse. Si le schéma est classique, il en est intéressant, parce que le roman interroge alors vraiment sur le regard de l’autre. Comment on peut rester soi malgré la société ? Peut-on s’accepter quand les autres ne t’acceptent pas forcément ?
Et au fur et à mesure que Willow s’effrite, il ne reste plus qu’une solution : faire ce que personne n’attend d’elle, voire ce que tout le monde ne veut pas qu’elle fasse. Cet antonyme dont je parlais, Willow, avec ses amies soi-disant brinquebalantes aussi (grosses, boiteuses, dentues), va le mettre au grand jour en s’inscrivant au concours de beauté de sa ville, présidé depuis des années par sa mère, créature filiforme épatante et adulée pendant quelques semaines tous les ans.
Néanmoins, Willow déçoit un peu. Si c'est intéressant qu'elle se fendille du fait du regard de l'autre, c'est beaucoup plus dérangeant que ce soit face à un regard éminemment masculin, quasi caricature du beau jeune homme américain tout à fait gentil (mais pas sexiste pour un sou, avec une vraie épaisseur, ce qui nuance et rattrape la perfection fade des bases de sa construction). Ce dévouement au regard de lui donne une autre ambiance au roman qui devient parfois un discours quotidien de problèmes sentimentaux où elle vit pour et par le garçon. Et elle agace, Willow, avec ses problèmes dont elle se plaint sans jamais
Il y a un personnage, néanmoins, qui, toujours fidèle à lui-même, échappe aux clichés, aux diktats, et peut se vanter de rester soi. Le personnage de Mitch, (petit) ami de Willow, est un vrai beau personnage comme on en croise rarement en littérature. Il est juste, amical, parfois un peu maladroit et brusque, parfois un peu collant, mais toujours simple, tendre et fidèle à ce qu’il croit. Et il a le mérite de pouvoir afficher sa liberté d’être en se battant contre les stéréotypes du genre masculin qu’il dénonce pour notre plus grand plaisir.
Avec lui comme avec d’autres personnages, de vraies relations se tissent. Nous parlions de finesse et c’est aussi ici qu’elle se loge, dans les fils tendus entre les différents personnages qui se confrontent les uns aux regards des autres. Et même les caricatures et discours sentimentaux dérangeants servent ici au récit avec habilité.
Finalement, ce livre révèle avec talent la difficulté qu’on peut avoir à s’autoriser de vivre comme on l’entend ou le voudrait face au regard de l’autre. Le roman le fait parfois maladroitement ou tombe dans des tares narratives à bannir de la littérature (à bas la plainte sentimentale et le regard dictateur du masculin !) mais il a aussi cette force pleine de finesse (on est plus à une répétition près) qui donne envie d’y retourner. Avec ses personnages attachants et son intrigue très intelligente (l’enjeu est dans le concours de beauté qui ordonne tout le roman sans qu’il ne soit vraiment joué) Miss Dumplin est un vrai grand roman… ambitieux et réussi.
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Un seul moyen de retrouver confiance en elle : faire la chose la plus inimaginable qui soit… s’inscrire au concours de beauté local présidé par sa propre mère, ex-miss au corps filiforme. Entraînant dans son sillage tout un groupe de candidates hors normes, Will va prouver au monde, et surtout à elle-même, qu’elle aussi a sa place sous les projecteurs.
Éditions Michel Lafon
378 pages
15€95
J'arrive pas à savoir si tu me donnes envie (un peu, quand même ;D) car tu es mitigé, mais j'ai tout de suite pensé au personnage d'Eleanor dans Eleanor & Park, et notamment à cette scène assez marquante qui m'a beaucoup touchée, où :
RépondreSupprimerEleanor, que ses camarades de classe ont "coincée" (par un jeu cruel) en tenue de sport (short moulan, t-short dégoulinant de sueur, visage rougeaud, larmes de l'humiliation, rondeurs qui bloblottent) et qui se voit contrainte de traverser le lycée ainsi... et tombe nez-à-nez avec Park, alors qu'ils se fréquentent déjà.
Dans sa tête à elle : l'horreur. Maintenant qu'il m'a vue ainsi, grosse, blanche, grasse, en sueur, moche, etc., il ne me trouvera plus attirante / le malentendu va s'effondrer / il ne me verra plus comme cette personne marrante / brillante / jolie / avec qui il partage tant de chose, mais juste comme ce tas bloblottant qui le paralysera.
(Alors qu'évidemment, c'est elle qui est paralysée.)
Et on découvre plus tard que dans la tête de Park :
"OMG de la peau visible sur le corps de la fille que j'aime ! *obsession / excitation / blocage total*
Bref c'est un détail que j'avais bien aimé de ce roman (que j'avais dans l'ensemble beaucoup aimé).
Merci beaucoup pour ta chronique brillante comme souvent, Tom !
Eleanor & Park, ce livre est une pépite ! Merci de ce partage détaillé...
RépondreSupprimerEt merci pour ton compliment qui fait très plaisir !