Entretien avec Clémentine Beauvais, partie 3
Entretien avec Clémentine Beauvais, la remarquable auteure de Songe à la douceur et des Petites Reines.
Songe à la douceur est un roman innovant, poétique et moderne. Fulgurant de beauté, c'est l'un des plus beaux (si ce n'est le meilleur) qu'il m'ait été donnés de lire jusque là. Après l'avoir chroniqué (ici), je vous propose de le découvrir, en un portrait chinois / interview de son auteure.
Étant donné l'importance de l'entretien, il a été publié en trois parties, chaque lundi entre le 10 octobre et le 24 octobre.
>>> Partie 1 + Concours jusqu'au 24/10, minuit
>>> Partie 2
Bonne lecture !
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Si tu avais été un des lecteurs de ton livre, comment penses-tu que tu aurais reçu Songe à la douceur ?
C’est marrant parce que je ne suis pas forcément certaine que j’aurais adoré, en tout cas ça dépend à quel âge. À quinze ans, je n’aurais pas lu ce genre de romans. Pour Les Petites Reines, je suis beaucoup plus confiante en disant que je l’aurais aimé à l’âge de treize ans. C’est exactement le genre de livres que je lisais et que j’aurais aimé lire, je sais que j’aurais aimé un livre de ce type-là. Songe à la douceur, je ne sais pas, et ce n’est pas vraiment le genre de littérature que je lirais en tant que lectrice. Peut-être aussi parce qu’en tant que lectrice je lis des livres que je n’aurais pas du tout la capacité d’écrire. On ne lit pas forcément ce qu’on aime écrire et inversement.
En fait je crois aussi que j’aurais été sceptique tellement je tiens à Eugène Onéguine, je me serais dit : comment peut-on le réactualiser ou le réécrire ?
Mais je n’ai jamais été trop roman d’amour de toute façon. Mais j’adorais la poésie quand j’étais adolescente.
Tu as écrit un roman en vers alors que c’est difficile aujourd’hui de vendre de la poésie aux adolescents. Tu n’as pas eu peur de la réception du roman et des vers ?
Un roman en vers À LIRE |
Après c’est vrai que j’avais de la chance de connaître ce genre et de l’avoir lu ; j’ai pu dire à mon éditeur : « mais si je te jure ce n’est pas l’échec total en Amérique ! » (Rires.)
Mais non je n’avais pas tant peur que ça, ce n’était pas la forme versifiée qui me faisait peur sur la forme du roman. Je pensais que ça pouvait passer, en jouant en partie sur l’amour des ados pour la poésie. Aujourd’hui la poésie des ados c’est les chansons, le slam, le groupe FAUVE par exemple. Ils en lisent et en aiment.
Si tu en étais un ouvrage de littérature ados tu serais lequel ?
Miss Charity, l’un de mes romans de littérature ados préféré et puis, le portrait chinois c’est dire « je serais », et s’il y a beaucoup de romans de littérature ados que j’adore Miss Charity, évidemment, résonne comme particulièrement individuel. C’est l’histoire de Béatrix Potter romancée mais c’est l’histoire d’une jeune fille qui apprend à écrire, qui se passe en Angleterre alors étant grande fan de l’Angleterre ça me parle, et c’est ce qu’on appelle un kunstler-roman, un roman d’apprentissage artistique, et c’est un genre que j’aime beaucoup. C’est sans doute le plus drôle et plus merveilleux que j’ai lu, et même plus que Les quatre filles du docteur March, c’est dire !
Tu cherches aussi à défendre la littérature ados, notamment par ton blog, c’est important pour toi ?
Oui, c’est très important, parce que je me suis aperçue au fil des années qu’il y a plein de gens qui me connaissent par mon blog sans avoir lu mes romans et c’est important pour moi car ça fait aussi partie de ce que j’écris. Ce n’est pas du tout une entreprise de promotion de mes livres, ça m’est complètement égal que des personnes lisent seulement le blog, je suis ravie qu’ils y trouvent un intérêt.
Et oui c’est important parce que la littérature jeunesse est une littérature vraiment, en France – les choses changent, on est vraiment dans une période d’évolution mais – encore pas assez soutenue par le gouvernement ou reconnue comme intéressante par les médias, même s’il y a des évolutions. Même par les parents, on a encore des gens qui disent : « allez vite, vite, lis Pinocchio, Alice au pays des merveilles et Les petites filles modèles et ensuite passe à Moby Dick et des trucs très chiants comme ça. » On est vraiment en retard, la France est en retard depuis des décennies sur les autres pays d’Europe et sur le monde entier sur la reconnaissance de la littérature jeunesse. Donc oui c’est important, je pense, qu’il y ait des voix qui la défendent de l’intérieur, et c’est important pour moi aussi de lui apporter ce côté universitaire pour faire remarquer que dans le reste du monde, des gens étudient la littérature jeunesse depuis des décennies et qu'on y fait un corpus de texte extrêmement important sur le sujet. Et c’est aussi important pour moi de défendre une littérature contemporaine. On a tendance, et en France aussi, à avoir une espèce de nostalgie « oh la la Babar, Tintin (qu’on s’approprie alors qu’il est belge) », etc. Moi, j'ai envie de dire : « regardez des gens écrivent des choses très bien, regardez pourquoi c’est intéressant, pourquoi cela répond à l’actualité, etc. ». C’est vrai qu’au début c’était un intérêt personnel, en y ajoutant un intérêt universitaire, qui s’est maintenant doublé d’un impératif moral : c’est-à-dire que j’ai une sensation que si l’on peut contribuer à la promotion de la littérature jeunesse pas commerciale mais comme œuvre littéraire et combat intellectuel, il faut le faire sinon personne ne va le faire. On ne va pas compter sur Erik Orsenna de l’Académie Française pour le faire, même s’il a écrit d’absolument charmants romans jeunesses. Il y a des gens qui sont en position de pouvoir dans la littérature jeunesse, qui en écrivent, mais qui n’ont peut-être pas conscience de ce qu’est la littérature jeunesse contemporaine. Et moi je pense que quand on connaît la littérature jeunesse contemporaine il faut la défendre pour un public le plus large possible.
Si tu étais un de tes albums, tu serais lequel ?
La Louve, ça c’est sûr. C’est vraiment mon préféré et ce que j’aime beaucoup c’est que là où j’ai eu le plus de satisfaction d’avoir vraiment travailler la notion d’ambiguïté sur ce qui fait que quelqu’un est quelqu’un, est quelqu’un d’autre ou devient quelqu’un d’autre. C'est ainsi une réflexion sur le moment où on devient quelqu’un d’autre après avoir tellement porté les habits d'un autre. Donc La Louve est vraiment celui que je préfère.
Et puis ce que j’aime beaucoup avec La Louve c’est que quand je le lis aux enfants il y a vraiment quelque chose qui se passe que je n’ai avec aucun autre récit.
Et quand tu travailles un album, à part la longueur il y a beaucoup de choses qui changent ?
Ça dépend vraiment des albums. Le mode de travail est complètement différent de l’un à l’autre. La Louve je l’avais écrit pour J’aime lire donc au début ce n’était même pas un album. Ensuite il a été refusé donc je l’ai retravaillé pour qu’il fasse plus album mais c’est quand même un long album, c’est plus un petit roman illustré.
Après pour d’autres, Lettres de mon hélicoptètre, je l’ai bossé pendant longtemps longtemps parce que ce sont des petites lettres, des petits poèmes donc il fallait que ça soit extrêmement précis. Et puis au début j’en avais trop. Mais j’avais la structure générale, je savais exactement comment ça allait se terminer, donc après il fallait que j’arrive là.
Et le tout dernier, Va jouer avec le petit garçon, avec Maisie [Paradise Shearing], c’était complètement différent parce que j’ai d’abord rencontré Maisie, j’ai regardé ses illustrations et à partir de là j’ai essayé d’imaginer une histoire qui se passe dans un parc, où il y a un monstre… J’avais une espèce de cahier des charges dans ma tête et à partir de là j’ai fait l’histoire.
Ça peut prendre très longtemps, c’est vrai que c’est bizarre les albums.
Si tu étais un état d’esprit entre l’Angleterre et la France, il y a en a un qui te représenterait plus ?
Oh, je crois que je suis vraiment pure hybride après avoir passé en France mon enfance et mon adolescence mais en Angleterre mes années les plus formatrices de jeune adulte. C’est impossible de dénouer les deux. J’ai vraiment les deux côtés, c’est-à-dire celui très polissé, je pense, anglais – j’ai du mal avec l’agressivité par exemple – mais celui français est aussi toujours là (surtout quand je reviens en France) c’est à dire plus impertinent et « je m’en foutiste ». Et même dans les relations familiales, amicales, amoureuses j’ai les deux. Et puis, j’ai vraiment du mal à me décider : avant je me considérais vraiment comme purement anglaise, et maintenant – surtout depuis le Brexit, j’en suis un peu revenu. Je suis vraiment indecisive.
Ça y est, c’est fait !
Tu peux en parler ?
C’était très très difficile. C’était épuisant, déjà, super fatiguant. La traduction c’est intellectuellement crevant. Pas comme l’écriture où tu peux te sentir galvanisé et écrire avec passion jusqu’à trois heures du matin… Mais pas la traduction ! c’est fatiguant, tu as vraiment l’impression de donner de l’énergie. Et c’était dur parce que je ne suis pas anglaise Normalement on ne traduit que vers sa langue natale et même si je suis bilingue ça ne veut pas dire que c’est ma langue natale – loin de là. De plus, il y a plein de boulot : tout ce qui est déjà d’habitude assez difficile en traduction.
Mais par contre, là où je suis contente, c’est que je suis vraiment ravie d’apport en Angleterre un livre franco-français. Tu ne peux pas faire plus terroire, saucisses, cuisses de grenouilles et vin quoi ! (Rires.) Et ça, ça me fait vraiment plaisir parce que l’Angleterre manque cruellement de diversité culturelle que ce soit européenne ou autre. Et pour moi Les Petites Reines c’est un vrai roman français, il n’y a pas erreur, ce n’est pas un truc intemporel. Et l’Angleterre tout ce qu’ils traduisent de français c’est des romans comme Tobie Lolness que j’adore mais qui pourrait se passer dans beaucoup d’endroits différents. Donc je suis ravie que celui-là ce soit vraiment « in your face, it's french ! »
Si tu étais un de tes projets d’écriture future ?
J’aimerais bien me lancer dans des choses plus collectifs parce que ça me dit d’écrire des choses avec d’autres gens. J’ai des gens avec qui je suis en contact et en négociations. J’aimerais bien faire un projet à deux.
J’ai aussi des envies d’essais, donc pas forcément de fiction.
Pour les romans, je retarde ça au plus tard possible parce que je n’ai pas envie d’y penser pour l’instant, je suis encore trop proche de Songe à la douceur.
Pour finir, que dirait Mireille à Tatiana si elle la rencontrait ?
À mon avis, Tatiana et Mireille s’entendraient très, très bien ados puisqu’elles sont toutes les deux complexées et adorent les bouquins. Mais Mireille dirait à Tatiana qu’elle a perdu un temps complètement considérable à se pâmer devant ce bellâtre, qui lui rappelle d’ailleurs Malo sans le côté petit caïd, et qu’elle vivrait beaucoup mieux plantée sur un vélo à faire des kilomètres sous le soleil et sous la pluie à vendre des boudins avec elle. Je pense qu’elles s’entendraient très, très bien, il n’y a pas de problème. Et Tatiana serait sans doute absolument charmante avec Hakima. Mais elle aurait vraiment du mal avec Astrid. Pour elle ça serait l’OVNI total : « c’est qui cette fille, quoi ? Elle joue à des jeux de management et de gestion, mais c’est quoi ces trucs ? » Mais avec Mireille ça irait.
Merci beaucoup d'avoir retranscrit cet entretient, j'ai adoré :) !!
RépondreSupprimerMerci à toi d'avoir tout lu ! ;)
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