« On ne va pas cesser d'être cette jeunesse qui entend aller au bout de son insouciance. » | À la place du cœur, saison 2, Arnaud Cathrine
À la place du cœur, une saga d'Arnaud Cathrine qui séduit des tripes à la tête, en passant par le cœur
La première saison d’À la place du cœur m’avait séduit des tripes à la tête, en passant par le cœur. Ce premier tome traitait avec une puissante justesse des attentats de Charlie Hebdo mais aussi et surtout d’un jeune adulte profondément amoureux. Ce deuxième tome (et non second, car il y en aura bien un troisième) saisit une nouvelle fois par sa pertinence, sa sincérité mais aussi son audace.
En effet, l’auteur propose avec cette saga une histoire avant de proposer des réponses. Littérature « médicament » dans le sens où elle peut répondre à des adolescents et jeunes adultes perdus, elle n’a de « médicament » rien qui soit négatif. C’est en effet une littérature qui propose des personnages profonds et sincères et un vrai projet artistique.
Dans ma première chronique, j’avais écrit que l’auteur montrait la capacité de la littérature à prendre du recul. C’est encore plus vrai dans ce nouveau volet où le récit n’est plus à fleur de peau. On y perd en émotion, mais on y gagne en distanciation.
Cette distanciation peut gêner quand on se rappelle la violence émotionnelle du premier tome. C’est en tout cas un remue-ménage sentimental qui m’a manqué. Mais on comprend très vite que :
Caumes, le personnage principal, héros frondeur du XXIe siècle, a en effet subi de terribles épreuves qui l’ont changé entièrement. Ce jeune paradeur brillant, idéaliste et romantique s’est transformé en Don Juan renfermé sur lui-même et en lâcher prise complet. Même s’il n’intervient réellement qu’à la troisième partie du roman, Caumes n’a donc plus cette fougue qui nous séduisait, et nous amenait jusqu’à une forte identification. La distance s’opère là, alliée à l’intervention de personnages plus ou moins nouveaux, en tout cas dont on n’avait jamais entendu les voix.
Ces nouvelles voix et ces points de vue multiples tournent autour de Caumes. La narration prend le temps de faire des sauts dans le temps, de penser les choses autrement, de les approfondir, de construire plusieurs plans. Cette narration complexe permet aussi de prendre le temps de la discussion et d’observer le dialogue d’autres jeunes, de cette prof de philosophie qu’on avait déjà aperçue, d’un frère plus vieux, de nouveaux amis brillants élèves en prépa… La distanciation m’a finalement semblé essentielle dans ce nouveau tome où l’éclatement des points de vue permet de pousser un personnage principal — Caumes — à d’insoupçonnés extrêmes.
Niels est particulièrement réussi : sa sensibilité toute en nuance, forte ni en stéréotype ni en anti-stéréotype voyant, est toute la preuve de l’étoffe sincère et crédible qu’use Arnaud Cathrine pour construire ses personnages. Ils sont poussés, parfois fragiles et toujours beaux.
La grande force du roman, à travers ces discussions construites par des dialogues (presque) impeccables et passionnants et ces personnages épais, est dans l’interaction entre tous. Les relations sont complexes, parfois ambigües, souvent difficiles, mais toujours justes. Rien n’est manichéen, rien n’est laissé au hasard, et chacun entretient aux autres un rapport particulier qu’on ressent et qu’on comprend. On le ressent dans la force émotionnelle transmise par une langue plutôt simple (mais pas simpliste) et on le comprend dans la clarté de l’écriture.
À travers ces rencontres se joue un théâtre d’émotions admirablement bien mises en scène et jouées. De l’égarement étonné — évocateur de sens —, à la haine ou la douleur, on passe du tout au tout. Ces sentiments s’exposent dans tous les cas, avec une grande vraisemblance.
D’abord par la finesse du ton, c’est-à-dire ce moment prodigieux où la voix de l’auteur disparaît derrière celle factice, et pourtant crédible, d’un adolescent. Il est très difficile de reproduire cette voix-là, particulièrement parce que c’est un âge mouvant, où le discours est différent d’une génération à une autre. Avec À la place du cœur, on pourrait croire qu’Arnaud Cathrine était encore adolescent hier. Avec des émotions brutes et sincères, ce dernier excelle dans tous les registres. Il peut prendre le temps de dire les choses ou au contraire y aller avec une violence inouïe mais nécessaire, celle de l’esprit des jeunes qui veulent que les choses changent, parfois explosent.
Mais l’audace d’Arnaud Cathrine est aussi dans l’expression charnelle de l’amour. Le registre est sensuel, purement corporel : on peut parler excitation, et tension sexuelle sans tabou. Arnaud Cathrine ose parler sexualité aux adolescents et jeunes adultes : Caumes, Esther et Niels explorent leurs fantasmes, leurs corps, leurs pulsions parfois. C’est osé et réussi.
La véritable audace de ce deuxième tome réside pourtant dans l’exercice d’écriture mis en place par Caumes. Les nouvelles voix d’Esther et Niels qui tournent autour de lui opèrent un procédé littéraire intéressant : ce dernier personnage reste le héros de l’histoire, tout tourne autour de lui. Mais on apprend dans la dernière partie [SPOILER]que les voix de Niels et Esther sont en fait la voix de Caumes qui écrit un livre où il expie tout un ensemble de sentiments qui l’habitent et le hantent. Cette mise en abyme laisse à réfléchir sur le rôle purgatoire de l’écriture et renforce les relations entre Caumes et les autres. Elles sont si fortes, si complexes, que Caumes est capable de parler pour les autres, de les écrire, de les imaginer se raconter, dire le monde.[FIN DU SPOILER]
Ce deuxième tome pousse donc plus loin les personnages d’Arnaud Cathrine qui les fait parler du plus profond de leur être, depuis leur intimité et continue de rassembler avec une forte puissance (critique et émotionnelle) notre pensée sur les attentats. Finalement, cette suite explore ce qu’il y a comme tension (souvent électrique) entre les protagonistes et les attentats. Roman qui dit, aussi bien que le premier, cette jeune génération, avec un ton authentique, À la place du cœur saison 2 poursuit l’œuvre de littérature jeunes adultes vibrante, engagée, révoltée et immanquable d’Arnaud Cathrine.
Sa pertinence
Là où on pourrait crier au roman à thème, au produit, au marketing, on ne peut que crier, en même temps que les personnages, à la révolte politique et avec la vibration d’une envie d’autre chose.En effet, l’auteur propose avec cette saga une histoire avant de proposer des réponses. Littérature « médicament » dans le sens où elle peut répondre à des adolescents et jeunes adultes perdus, elle n’a de « médicament » rien qui soit négatif. C’est en effet une littérature qui propose des personnages profonds et sincères et un vrai projet artistique.
Dans ma première chronique, j’avais écrit que l’auteur montrait la capacité de la littérature à prendre du recul. C’est encore plus vrai dans ce nouveau volet où le récit n’est plus à fleur de peau. On y perd en émotion, mais on y gagne en distanciation.
Cette distanciation peut gêner quand on se rappelle la violence émotionnelle du premier tome. C’est en tout cas un remue-ménage sentimental qui m’a manqué. Mais on comprend très vite que :
- Le tome 1 avait aussi son effet de surprise, qui accentuait cette émotion ;
- L’intrigue du premier volet courrait uniquement sur le temps des attentats, de quoi condenser plus encore l’émotion ;
- Cette distanciation est nécessaire à la suite de l’histoire.
Caumes, le personnage principal, héros frondeur du XXIe siècle, a en effet subi de terribles épreuves qui l’ont changé entièrement. Ce jeune paradeur brillant, idéaliste et romantique s’est transformé en Don Juan renfermé sur lui-même et en lâcher prise complet. Même s’il n’intervient réellement qu’à la troisième partie du roman, Caumes n’a donc plus cette fougue qui nous séduisait, et nous amenait jusqu’à une forte identification. La distance s’opère là, alliée à l’intervention de personnages plus ou moins nouveaux, en tout cas dont on n’avait jamais entendu les voix.
Ces nouvelles voix et ces points de vue multiples tournent autour de Caumes. La narration prend le temps de faire des sauts dans le temps, de penser les choses autrement, de les approfondir, de construire plusieurs plans. Cette narration complexe permet aussi de prendre le temps de la discussion et d’observer le dialogue d’autres jeunes, de cette prof de philosophie qu’on avait déjà aperçue, d’un frère plus vieux, de nouveaux amis brillants élèves en prépa… La distanciation m’a finalement semblé essentielle dans ce nouveau tome où l’éclatement des points de vue permet de pousser un personnage principal — Caumes — à d’insoupçonnés extrêmes.
« Son expression troublée m'aide à nommer — même confusément — ce que nous sommes en train de vivre : une sorte d'égarement étonné et triste. »
Sa sincérité
Cet entre-deux d’attentats, ce temps de discussion politique pris, Arnaud Cathrine l’occupe ainsi à approfondir ses personnages. Avec les points de vue de Niels, le cousin (naturiste) de Caumes, ou Esther, l’amoureuse et révoltée, et toutes les relations qui se nouent entre les personnages, Arnaud Cathrine tisse une fine toile de protagonistes qui s’effleurent, se rencontrent et se battent. Ces voix se différencient par des tons biens particuliers, très bien menés : plus fragile pour le Niels, plus assuré pour Esther.Niels est particulièrement réussi : sa sensibilité toute en nuance, forte ni en stéréotype ni en anti-stéréotype voyant, est toute la preuve de l’étoffe sincère et crédible qu’use Arnaud Cathrine pour construire ses personnages. Ils sont poussés, parfois fragiles et toujours beaux.
La grande force du roman, à travers ces discussions construites par des dialogues (presque) impeccables et passionnants et ces personnages épais, est dans l’interaction entre tous. Les relations sont complexes, parfois ambigües, souvent difficiles, mais toujours justes. Rien n’est manichéen, rien n’est laissé au hasard, et chacun entretient aux autres un rapport particulier qu’on ressent et qu’on comprend. On le ressent dans la force émotionnelle transmise par une langue plutôt simple (mais pas simpliste) et on le comprend dans la clarté de l’écriture.
À travers ces rencontres se joue un théâtre d’émotions admirablement bien mises en scène et jouées. De l’égarement étonné — évocateur de sens —, à la haine ou la douleur, on passe du tout au tout. Ces sentiments s’exposent dans tous les cas, avec une grande vraisemblance.
« Pour la première fois depuis longtemps je me sens EXISTER. »
Le travail de Cléa Lala sur la couverture du tome 2 |
Son audace
Enfin, Arnaud Cathrine prouve avec cette saison 2 son audace, l’originalité de sa saga. Elle tient en plusieurs points rarement trouvés ailleurs en littérature jeunes adultes.D’abord par la finesse du ton, c’est-à-dire ce moment prodigieux où la voix de l’auteur disparaît derrière celle factice, et pourtant crédible, d’un adolescent. Il est très difficile de reproduire cette voix-là, particulièrement parce que c’est un âge mouvant, où le discours est différent d’une génération à une autre. Avec À la place du cœur, on pourrait croire qu’Arnaud Cathrine était encore adolescent hier. Avec des émotions brutes et sincères, ce dernier excelle dans tous les registres. Il peut prendre le temps de dire les choses ou au contraire y aller avec une violence inouïe mais nécessaire, celle de l’esprit des jeunes qui veulent que les choses changent, parfois explosent.
Mais l’audace d’Arnaud Cathrine est aussi dans l’expression charnelle de l’amour. Le registre est sensuel, purement corporel : on peut parler excitation, et tension sexuelle sans tabou. Arnaud Cathrine ose parler sexualité aux adolescents et jeunes adultes : Caumes, Esther et Niels explorent leurs fantasmes, leurs corps, leurs pulsions parfois. C’est osé et réussi.
La véritable audace de ce deuxième tome réside pourtant dans l’exercice d’écriture mis en place par Caumes. Les nouvelles voix d’Esther et Niels qui tournent autour de lui opèrent un procédé littéraire intéressant : ce dernier personnage reste le héros de l’histoire, tout tourne autour de lui. Mais on apprend dans la dernière partie [SPOILER]que les voix de Niels et Esther sont en fait la voix de Caumes qui écrit un livre où il expie tout un ensemble de sentiments qui l’habitent et le hantent. Cette mise en abyme laisse à réfléchir sur le rôle purgatoire de l’écriture et renforce les relations entre Caumes et les autres. Elles sont si fortes, si complexes, que Caumes est capable de parler pour les autres, de les écrire, de les imaginer se raconter, dire le monde.[FIN DU SPOILER]
« Aujourd'hui je n'ai qu'une certitude, élémentaire et terrible : il va donc nous falloir vivre avec ça, encore et toujours. Toujours. Toujours. Toujours. »
Ce deuxième tome pousse donc plus loin les personnages d’Arnaud Cathrine qui les fait parler du plus profond de leur être, depuis leur intimité et continue de rassembler avec une forte puissance (critique et émotionnelle) notre pensée sur les attentats. Finalement, cette suite explore ce qu’il y a comme tension (souvent électrique) entre les protagonistes et les attentats. Roman qui dit, aussi bien que le premier, cette jeune génération, avec un ton authentique, À la place du cœur saison 2 poursuit l’œuvre de littérature jeunes adultes vibrante, engagée, révoltée et immanquable d’Arnaud Cathrine.
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Une chanson extraite du second album de Frère Animal, projet musical auquel Arnaud Cathrine participe :
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Éditions Robert Laffont, Collection R
306 pages
16,50 €
306 pages
16,50 €
Bon, il va falloir que je me lance un de ces 4 je crois !
RépondreSupprimer(Un jour je ferai la grève de vos blogs, le temps d'être à jour ah ah :p) (et sinon il va falloir qu'on se lance dans L'Amie Prodigieuse !)
Oui, fonce !!
Supprimer(Oui, il faudrait... Pourquoi tu y penses ?)
J'ai tellement envie de lire cette deuxième saison ...
RépondreSupprimerQu'attends-tu ?? ;)
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