Cher Timothée | Neverland, de Timothée de Fombelle
Timothée,
Quand j'ai découvert tes textes, j'avais encore mes deux pieds dans l'enfance. Je ne suis pas sûr d'être ceux qui ont grandi trop vite, au contraire. J'ai plutôt l'impression d'être de ceux qui n'ont pas fini de grandir.
Aujourd'hui, je suis encore à la lisière « dans les hauts territoires de l’enfance, derrière les torrents, les ronces, les forêts, après les granges brûlantes et les longs couloirs de parquet » sur ces chemins qui « vers le bord du royaume, longent les falaises ou le grillage et laissent voir une plaine tout en bas »… Dans cette plaine, tout en bas, il y a le « pays des lendemains », ce pays du monde adulte, celui vers lequel je penche, avec un pied à moitié posé sur ce nouveau territoire, tout mêlé d’embruns de peurs et d’envies qui me déchirent à l’intérieur. Là, près des noyaux de cerises — ceux qui font échos, tu le dis, au monde adulte — attrapés durant l’enfance, cueillis à sa lisière.
Alors que ces noyaux se déployaient, en moi, avec ardeur et brûlures, tu m’as attrapé au passage, durant ton chemin de ronde, comme dans chacun de tes romans auparavant. Mais au lieu de m’entraîner, cette fois-ci, au creux de Neverland, au plus profond du pays de l’enfance, tu m’as fait longer avec une immense douceur le chemin de ronde que tu parcourais alors. Comme tu allongeais avec tendresse la tristesse derrière toi il y a trois ans maintenant, dans Le Livre de Perle, tu m’as proposé là une balade, toute intime, au plus près de l’enfance.
« Je me souviens de ce besoin qui m’a envahi un jour d’attraper l’enfance pour la tenir, comme dans une cage entre mes mains fermées, et la montrer aux autres en écartant doucement les doigts.
- Regarde, elle est là. Tu la vois ?
C’est arrivé au milieu de ma vie. Autant d’années à vivre, peut-être, que de temps vécu. J’avais senti l’absence de l’enfance dans tout ce qui commandait la marche du monde à ce moment-là. Et ce monde ressemblait à une steppe, une plaine asséchée, fendue de colonnes de guerriers. Aucune trace de l’enfance nulle part. La terre craquait tout autour. »
Tu t’es livré, comme on enlève des pansements qui cachent encore quelque blessure. Comme un enfant perdu, tu en as demandé d’autres, mais jamais tu n’as semblé souffrir. Les souvenirs que tu m’as raconté m’ont parlé comme si tu racontais les miens. Et, ce n’est pas que je n’ai pas aimé entendre tes souvenirs, mais c’est ce chemin que tu as tracé pour ceux qui voudront bien t’écouter qui m’a touché, derrière les noyaux de cerise, dans ce que je garde d’enfance. Tu m’y as ainsi ramené, avec beaucoup de délicatesse et des mots choisis avec le même soin que quand on soulève les rideaux pour épier la nuit dans ses replis les plus mystérieux.
« Un matin, je me suis agenouillé sur le sable des rivières. J'ai tamisé lentement, jour après jour. Mais ce qui m'intéresse ce n'est pas ce qui reste dans le tamis. Ce qui m'intéresse c'est justement ce qui traverse, ce qui échappe, un sable plus fin qu'une fumée. C'est l'enfance. »
Cette minutie du bon mot, tu la portes depuis longtemps, architecte et menuisier que tu es. Mais après avoir construit tout un village, tu descends des dirigeables, qui te poursuivent sur tes couvertures autant que Vango sur les toits de Paris, et de l’arbre de Tobie pour nous raconter ce qu’il y a, aux fondations de tout ça. Ce parcours, tu le fais comme les quêtes que tes héros ont menées dans tes précédents romans, en rappelant que la vie suit de très près l’imaginaire, comme un petit chien, mais que jamais elle ne le dépasse. Tu prends ton cheval, tes outils et tes mots, et tu retournes à la source de cette enfance. Tous tes mots ne m’ont jamais paru aussi mélodieux que dans cette histoire remplie de métaphores et de noyaux fondants, à travers cette quête qui mélange habilement, comme dans tes autres textes, ces deux mondes qui se côtoient de près et dont les frontières sont plus poreuses qu’une éponge dans un cours d’eau.
Le réel et l’imaginaire. Ils s’imbriquent au fil des diverses temporalités du récit qui nous donne bientôt plus envie de croire au Timothée sur son cheval, tel à un rêve de ta Victoria, qui remonte vaillamment le cours de sa vie pour revenir à l’enfance qu’il a peut-être perdu, là, quelque part au bord du chemin, comme deux sentiers qui se séparent.
Interview en vidéo de Timothée de Fombelle par la librairie Mollat
Peut-être que ton roman, empreint de respect envers l’enfance, dans le souci minutieux du travail que tu sembles avoir porté, est parfois trop métaphorique. Il peut perdre le lecteur et le laisser sur le bord du chemin. Il m’a fallu être patient, savoir poser le livre, respirer un peu, regarder le paysage qui défilait à travers la vitre du bus, repenser à tout ça, avant de me remettre en route. Pourtant, je crois que j’ai aimé cette patience qui m’a rappelé le côté doucement perturbateur qu’a toujours l’enfance dans tes romans.
« Ce que l'on fait nous dépasse quelques fois. C'est une histoire de confiance et de liberté. On n'est jamais à l'abri que ça marche. »
Ta quête s’achève sur cette rencontre qui a remué le « papillon obscur » qui s’agite au fond de moi. Avec la même tendresse et la même minutie que dans tout le reste de ton texte, tu détaches une partie de toi qui s’en va vers l’enfance. N’est-ce pas ce que nous a appris Anne-Laure Bondoux ? « Est-ce qu’il faut toujours perdre une part de soi pour que la vie continue ? » Mais, avec Neverland, tu as pensé à tout : tu nous donnes une consolation, comme un pansement d’enfants perdus. Tu me l’as dit : « la beauté console ». Elle console alors peut-être même de ce qu’on laisse derrière soi ?
Ce pansement que tu m’as offert m’a semblé si personnel, que j’aurais du mal à te dire tout ça, en face, sans sentir un noyau grandir trop vite et bloquer quelque phrase au fond de ma gorge. Alors, en attendant d’y arriver, je vais mettre ton livre sur ma table de chevet, comme on garderait toujours près de soi le plan pour rentrer chez soi. Sauf que ce plan-là est d’une grande beauté. D’une beauté qui console.
Avec toute mon amitié,
Tom
P.S. : Merci de m’apprendre un peu plus à chaque livre à « faire semblant d’être adulte », pour, je l’espère, encore très longtemps.
« Je suis parti un matin en chasse de l’enfance. Je ne l’ai dit à personne. J’avais décidé de la capturer entière et vivante. Je voulais la mettre en lumière, la regarder, pouvoir en faire le tour. Je l’avais toujours sentie battre en moi, elle ne m’avait jamais quitté. »
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Neverland est l’histoire d’un voyage au pays perdu de l’enfance, celui que nous portons tous en nous. À la fois livre d’aventure et livre-mémoire, il ressuscite nos souvenirs enfouis.
Après son immense succès en littérature jeunesse (Tobie Lolness, Vango, Le livre de Perle), Timothée de Fombelle signe son premier livre pour adultes.
De Timothée de Fommbe
Éditions L'Iconoclaste
128 pages
15 €
Éditions L'Iconoclaste
128 pages
15 €
Neverland est le premier livre pour adultes de Timothée de Fombelle mais cet écrivain que j'admire grandement a écrit beaucoup d'autres livres que je vous conseille vivement !
Parmi lesquels ces trois romans dont vous pouvez lire mes chroniques en cliquant sur les images !
Parmi lesquels ces trois romans dont vous pouvez lire mes chroniques en cliquant sur les images !
Cette chronique, toute intime qu'elle soit, car elle l'est évidemment, reflète l'immense talent de Timothée de Fombelle. Ce talent qu'il a de nous transporter en nous même. Ton texte est pour moi réellement émouvant, peut-être ressentirai-je la même chose dans 4/5 ans car du haut de mes 16 ans je pense y être encore bien ancré, dans l'enfance. Malgré cela, c'est un sujet qui trouve une résonance en moi et qui ne peut me laisser indifférente. Je vais lire ce livre et je le garderai, pour plus tard, pour quand j'aurai grandit. Et je pense que mon ressenti sera différent, à mon âge je n'aurai sûrement pas tout compris pas interprété correctement certains passages, mais je ne peux pas ne pas le lire maintenant, c'est Timothée de Fombelle tout de même ! Je rêve tellement de pouvoir lui parler, de lui expliquer tout ce qu'il réveille en moi et ce que ses textes me font ressentir, mais en même temps c'est très difficile de mettre des mots dessus, alors bravo pour ta formidable lettre ouverte ! Je crois que mon pavé est terminé, maintenant, je cours l'acheter !
RépondreSupprimerMerci, merci ! J'avais peur que ma chronique soit opaque pour les lecteurs et lectrices extérieur.es au livre... j'en suis ravi !
SupprimerJe pense aussi le relire plus tard, comme je le dis, mais tu as raison : on ne peut passer à côté d'un Timothée de Fombelle ;)
J'espère que tu pourras le rencontrer et, en attendant, j'espère que tu aimeras, aujourd'hui ou dans dix ans, partie sur la lisière de Neverland.
Bonne lecture !
Merci Tom, pour cette merveilleuse chronique qui m'émeut profondément. Depuis que je suis tes pérégrinations et celles de Nathan sur internet, je vous entend parler avec humour, amour, délicatesse et profondeur des livres de cet auteur que je ne connais pas encore, mais que je vais m'empresser d'aller découvrir... Il est de ces rencontres livresques qui marquent la vie... Je crois que celle-ci en sera une.
RépondreSupprimerMerci à toi, ça me touche beaucoup. Je suis ravi de ta confiance et j'espère que Timothée de Fombelle et ses livres te plairont autant que nous. Reviens me dire une fois que tu l'auras rencontré !
SupprimerCher Tom,
RépondreSupprimerJ'adore tes chroniques parce qu'elles sont pleines de beauté et de poésie. Néanmoins j'ai quelques hésitations à livre ce livre : d'un côté, toute la poésie de ce que tu écris me rappelle tout ce que j'aime dans le doux style de l'auteur. De l'autre, j'ai peur d'une suite de pensées, sans lien, sans intrigue, qui me laisserait sur la fin, quelque chose qui m'échappe comme Perle m'a échappé !
Du coup j'hésite, je pourrais presque me contenter de t'écouter. Ta passion est si communicante !
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Supprimer(La rentrée me rend émotive il faut croire ;) )
SupprimerMerci tu es adorable...
RépondreSupprimerTa peur est justifiée, c'est un livre de style. Mais aussi une très belle réflexion et philosophie de l'enfance. Je te le conseille tout de même !
Je note, je note :)
Supprimer(D'ailleurs lire* et communicative* sont plus appropriés. Décidément, il y a une heure où il ne faut plus écrire de commentaire ! (quelle tristesse de ne pouvoir les corriger T_T))
Hahaha, il est temps que les vacances se finissent ;)
SupprimerDis donc toi... :p
SupprimerQue d'émotions transparaissent dans cette chronique !
RépondreSupprimerL'enfance, c'est un territoire sacré. D'ailleurs, contrairement à toi, j'ai l'impression d'avoir dû grandir trop vite (les drames de la vie sont ce qu'ils sont...). Mon enfance me suivra toujours partout, comme une ombre bienfaisante, car comme disait Saint Exupery "Je suis de mon enfance comme d'un pays". Cette frontière entre monde d'adulte et mon d'enfant, que la société a tendance à vouloir rendre trop nette, me rend triste, je considère qu'un être humain se construit sur son passé et qu'il n'a pas à devoir abandonner un état, une expérience de la vie au profit d'une autre, pour une quelconque question d'âge. Ce qui est important, c'est de faire revivre les émotions et les souvenirs qui nous élevés, et ne jamais les sous-estimer ou les reléguer au grenier.
Merci pour cette belle chronique ! Il me tarde de me plonger dans ce livre...
Merci à toi pour ton commentaire et le partage de ces pensées...
SupprimerJe suis d'accord avec toi. Et finalement, est-on vraiment adulte un jour ?
Timothée rappelle que cette frontière est ténue, infime, et que qui veut bien la repasser n'est pas arrêté par quelque garde si ce n'est celui qu'on s'impose seul...
Très belle lettre. Je ne m’étonne pas qu’elle ait séduit l’auteur. Tu me donnes envie de découvrir ce livre. Bravo pour ta sélection au concours « Je lis, je participe »
RépondreSupprimerMerci beaucoup, je suis très touché !
SupprimerQuel magnifique billet ! J'ai découvert Timothée de Fombelle avec "Le livre de perle", qui fut un extraordinaire coup de coeur, un coup de foudre littéraire. J'ai dans ma pal, "Tobie ", et je suis dans "Neverland", que je trouve très très beau, très onirique ... Merci pour ce beau billet, et j'espère que l'auteur passera le lire ...
RépondreSupprimerMerci !
SupprimerJe comprends... ce n'est vraiment pas mon préféré au niveau des personnages et de l'histoire mais j'adore le propos et l'écriture de Perle, incontestablement brillantes.
Merci beaucoup ! Je vous rassure : Timothée de Fombelle a lu mes mots... et j'en suis très touché ! ;)