Et si jamais on tombait vraiment amoureux ? | Brexit Romance, de Clémentine Beauvais
Le nouveau Beauvais : tragi-comédie moderne et grinçante entre un Tinder franglish et un opéra prodigieux.
Acte I, scène 1. Dans un train Eurostar filant sous la Manche. Marguerite Fiorel, jeune prodige de l’opéra français, discute avec son professeur, Pierre Kamenev, intellectuel cultivé aussi protecteur que misanthrope.
« ‘Vous faites votre malin, mais si jamais je tombais vraiment amoureuse de lui ? (…) Je veux dire,’ dit Marguerite, ‘tomber amoureux à force de faire semblant.’ »
Et hop, dans ce prologue-dialogue d’une justesse confondante (comme tous ceux qui suivront) est placé tout ce qui fait la réussite de ce grand roman qui n’a rien à envier à l’art total qu’est l’opéra :
- La peinture de cette force incontrôlable que sont les sentiments ;
- La mise en scène — inégalable en faux-semblants — de nos vies (qu’on soit rosbeef ou froggies) ;
- La modernité absolutly lovely et prodigieuse de la plume de Clémentine Beauvais.
« C’est très compliqué, songea-t-elle tout en sortant du four un tas de petits chaussons au pesto et au poivron qu’elle avait elle-même confectionnés en regardant une vidéo Tasty qui donnait l’impression que la recette était à la fois facile et rapide, alors qu’elle avait été épouvantablement fastidieuse et salissante. »
Pour découvrir mes chroniques des précédents livres de Clémentine Beauvais, suivez les couvertures !
À travers l’histoire de cette jeune soprano qui va croiser la route de la créatrice de la start-up top secret « Brexit Romance », Clémentine Beauvais met en scène à elle toute seule une intrigue aussi large que profonde. Dans les différents décors qui se succèdent avec fluidité, les personnages (nombreux mais tous épais) montent sans le savoir une pièce qui ressemble à la vie. Leurs dialogues vivants et incarnés comme leurs actions chorégraphiées peinent à cacher derrière les mises en scène des faux mariages (de Figaro ou du Brexit) leur petit théâtre personnel. Les masques et les apparences finissent par toutes tomber.
Tout le monde en prend peu à peu pour son grade : l’autrice dépeint avec une acidité aussi drôle que déconcertante d’authenticité les luttes sociales de notre monde moderne mais aussi celles internes à chaque individu.
Ce roman presque social donne tout son sens au lectorat « jeunes adultes » qui s’y reconnaîtra plus que n’importe quel autre public. Clémentine Beauvais offre — jusqu’à la fin (ô combien vivante et vibrante comme la jeunesse) — un miroir de notre monde en pleine mutation — uberrisation, startupisation, jeunisation, réseaux sociausisation…
Ce roman presque social donne tout son sens au lectorat « jeunes adultes » qui s’y reconnaîtra plus que n’importe quel autre public. Clémentine Beauvais offre — jusqu’à la fin (ô combien vivante et vibrante comme la jeunesse) — un miroir de notre monde en pleine mutation — uberrisation, startupisation, jeunisation, réseaux sociausisation…
Cette peinture sublime (au sens burkien du terme, nous rappelle Clémentine Beauvais dans Songe à la douceur : aussi effrayante qu’attirante) trouve son apogée dans une scène de club de lecture qui cristallise toute la finesse et tout l’humour grinçant du roman. Nos contradictions internes, les frottements inévitables entre les milieux sociaux, les luttes sociales (et féministes) et les bulles dans lesquelles on vit éclatent une à une, entre humour et drame, pour le meilleur et pour le pire.
« Parce qu’il était français aussi et qu’on ne disait pas, en français, de choses qui ne fussent pas un tant soit peu conflictuelles, juste par amusement. »
Avec mon amie Julie, on est prêt·es à utiliser Brexit Romance ! Faudrait juste que l'un·e de nous soit Anglais·e pour que ça marche vraiment... |
On retrouve aussi cette multiplicité dans son écriture : l’adéquation entre fonds et forme est parfaite. Là où nos personnages s’embourbent et se dépêtrent tant bien que mal dans leurs contradictions personnelles, Clémentine Beauvais s’épanouit dans cette écriture à plusieurs niveaux, riche (et brillante !) :
- Elle mêle avec humour les langues (du français au franglish en passant par l’anglais) ;
- Les registres littéraires se frottent naturellement les uns aux autres, de la comédie à la tragédie, sans manquer de provoquer les étincelles que sont l’ironie ou l’absurde (quel dénouement théâtral !, presque grotesque, qui traduit l’absurdité de notre société) ;
- Clémentine Beauvais joue (ce n’est pas sans rappeler la narratrice de Songe à la douceur) avec les registres de langue — du soutenu littéraire aux hashtags et autres messages WhatsApp — qui font miroiter le mélange socio-culturel des personnages.
« Au petit matin, on appela toute une colonie d’Uber et de taxis, et les uns et les autres montèrent dans ceux-ci ou ceux-là selon leurs inclinations idéologiques, pour se rendre à la Cour. »
Cette verve percutante et pertinente, usant des codes numériques modernes et d’un rythme poétique qui fait respirer la narration, est un fil brillamment tendu entre humour et drame. Clémentine Beauvais semble le faire bouger du bout du doigt sans jamais se déséquilibrer, comme elle joue des clichés pour mieux les pointer, les questionner, les détourner et en rire.
Les personnages, proches de ceux de grands romans (un lapin blanc n’est jamais bien loin), de poésies (à la Baudelaire ou la Fauve) ou de notre terrifiant réel (quelle audace grinçante de caster ces politiques !), sont aussi archétypaux qu’originaux. Leur justesse tient de cette dualité : ils ont beau chercher à l’éviter, chacun finit (comme nous tou·tes ?) par entrer dans une case. La tension entre eux tient alors dans le combat pour l’accepter ou s’en sortir.
Leur diversité permet d’enrichir encore le roman qu’on ne relira jamais assez pour en trouver toutes les facettes, à l’image de la relation Marguerite-Kamenev, qui incarne toute la complexité du roman : du tutorat à l’amour en passant par la famille ou l’amitié, on ne sait jamais trop, comme eux (et avec bonheur), où en sont ces deux-là. Ils sont le nœud des intrigues sentimentales de cette pièce tragi-comique et ramènent sans cesse à cette interrogation aussi moderne et générationnelle qu’universelle : et si jamais on tombait vraiment amoureux·ses ?
Peut-on faire indéfiniment comme si ?
Peut-on faire indéfiniment comme si ?
Cette question, comme le reste du roman, picote, chatouille et émeut de justesse et fait résonner Brexit Romance aussi longtemps qu’un « Je veux vivre » de Gounod, chanté avec sincérité.
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Ce qui n’empêche pas la rêveuse Marguerite Fiorel, 17 ans, jeune soprano française, de venir à Londres par l’Eurostar, pour chanter dans Les Noces de Figaro ! À ses côtés, son cher professeur, Pierre Kamenev.
Leur chemin croise celui d’un flamboyant lord anglais, Cosmo Carraway, et de l’électrique Justine Dodgson, créatrice d’une start-up secrète, BREXIT ROMANCE. Son but ? Organiser des mariages blancs entre Français et Anglais… pour leur faire obtenir le passeport européen.
Mais pas facile d’arranger ce genre d’alliances sans se faire des noeuds au cerveau – et au coeur !
456 pages
17,00 €
Aux éditions Sarbacane, collection Exprim'
17,00 €
Aux éditions Sarbacane, collection Exprim'
(Tellement fière d'être en guest star de ton article B) )
RépondreSupprimerJ'ai enfin fini et je peux commenter ! Alors j'ai trouvé le roman... insolent mais dans un sens hyper positif !
Tu as tout dit sur la plume de l'autrice qui est merveilleuse (j'admire toujours sa manière de rendre des conversations par messages riches, comme dans "16 nuances de premières fois") mais alors cette manière de tout nous renvoyer en pleine face - politique, féminisme, racisme (la discussion dans le taxi est savoureuse !) - est absolument géniale et très forte, surtout que ça rejoint des questions que l'on peut se poser tout le temps (les reprises sur les blagues sexistes, la définition de la laïcité française) sans avoir non plus de réponse ferme, puisque tout passe par le dialogue (même si on peut se douter des penchants en fonction de qui parle).
Bref, j'ai ricané tout du long et passé un très bon moment !
A tester auprès de mes élèves, mais s'ils sont comme moi à leur âge, les références politiques et sociales risquent de leur passer un peu au-dessus, mais à voir :)
Quelle belle critique, j'adhère entièrement !
SupprimerComme toi je ne sais pas quelle sera la lecture des ados... Je pense qu'elle est plus riche encore à notre âge.
Merci encore de ton commentaire :)