14 mars. L'Amérique entre nous
Ce n'est pas que j'ai mis longtemps à trouver les mots pour L’Amérique entre nous mais j'ai longtemps voulu le garder pour moi. Ne pas le partager. Comme s’il n'avait été écrit que pour moi. Je crois toujours que c'est un peu le cas d'ailleurs.
C'est ce genre de livre qu'on achète à moitié au hasard et en même temps pas vraiment : ici au salon du livre de Paris en cherchant (sur les conseils d'Anne-Fleur Multon qui, preuve en est, me connaît bien) un autre roman d'Aude Seigne. Comme il n'y était pas, la libraire-éditrice me conseille celui-ci que j'achète ; j'en avais déjà entendu parler (en bien).
Je ne l'ai pas lu tout de suite - quelques semaines ont passé. Puis un voyage avec un amoureux de l'autre côté de l'Atlantique m'a convaincu : peut-être était-ce le bon moment ? (Et oui, ça l'était.)
Dans L’Amérique entre nous, Aude Seigne suit une femme qui part pendant quelques mois aux États-Unis avec son amoureux.
La raison officielle de leur voyage ? Le travail : lui est photographe, et veut faire le cliché de tous les animaux et oiseaux qu’on ne voit pas en France, en Europe. Elle est journaliste dans le cinéma et la culture people. Son but ? Comprendre la fabrique à histoires et à fantasmes qu'est Hollywood ; celle que les studios produisent, mais aussi celles racontées par les stars. Qu'est-ce qui est réel, qu'est-ce qui est fictionnel ? Première des thématiques essentielles du livre qui touche juste, révèle les autres : quels rapports entretient-on au réel ou aux fictions ? Quel lien entre eux ?
« Pourquoi l'émotion suscitée par la fiction ne serait-elle pas réelle ? »
Mais il y a autre chose, bien sûr, derrière ce voyage : leur couple et tout ce qu'il y a entre eux. Cet avortement choisi, mais dont il faut faire le deuil. Et cet autre homme, qu'elle aime mais tout en continuant d'aimer son partenaire : comment lui dire ? Ne peuvent-ils pas inventer autre chose ?
C’est cet « autre chose » qui m’a particulièrement touché. Celui de l’amour libre et de la non-monogamie. Car c'est la première fois que je lis quelque chose de vraiment positif sur le polyamour.
Aude
Seigne rend visible et (dé)tricote des questionnements qui ne sont jamais (ou que très
rarement) abordés en littérature : « Il dit qu’il
n’a pas toujours été fidèle, sans préciser davantage, il parle des
relations qui n’entrent pas dans les cases, des amitiés folles et des
tentatives d’amour – il prononce aussi le mot polyamour. »
« Il dit que le temps passe trop vite quand nous sommes ensemble, que
nous sommes à moitié pareils et à moitié différents, et que c'est
l'équilibre parfait pour faire un couple. [...] Il dit qu'il y a toutes
sortes de manières d'aimer quelqu'un, et que le couple n'en est qu'une. »
À travers le portrait de cette héroïne en cheminement, elle écrit une sorte de roman initiatique inédit : elle fait le récit d'une découverte de soi sur le tard et prouve qu’on continue de se chercher – et dans les meilleurs des cas de se trouver – même après l’adolescence.
Mais ce qui m'a le plus touché, c'est qu’elle peint ce possible avec une joie toute tranquille. Elle ouvre avec douceur et sans prétention des horizons, loin des histoires, d’Hollywood ou d’ailleurs, qui façonnent nos imaginaires et nous font croire, souvent, que c’est impossible d'aimer plusieurs personnes sans les tromper. Mais elle, elle rend possible.
« Je dis que ce qu’on donne à une personne n’est pas retiré à une autre, que l’amour est inépuisable. Au bout de deux heures de discussion, il n’y a plus rien à dire. Nous sommes muets face à l’océan. »
C’est la joie tranquille des réflexions extraordinaires de nos vies normales. Celles qu’on garde en soi avant de les dire à l’autre. Celles qui peuvent faire mal alors qu’elles pourraient juste éclore doucement en nous.
Celles de ce qu’on n'a vu nulle part, mais qu’on veut inventer.
« C’est ça qu’il faudrait viser : des petits moments de grâce imprévus plutôt que des grandes trajectoires. »
C’est ce que l’héroïne et son partenaire font, d'inventer, dans ce voyage qu’on entend grâce à la playlist qui accompagne chaque chapitre, qu'on ressent, qu'on voit presque. Les descriptions sobres suffisent à dire la grandeur des espaces et l’agitation aussi étouffante qu’excitante des villes vertigineuses. Le doux et le douloureux s’entrechoquent comme toutes les contradictions de ce pays qui, peut-être, finira par définitivement ouvrir les horizons des personnages.
Et je sais que ce roman sera comme ce voyage et ceux qu’on fait, de l’autre côté de l’océan et l’Amérique entre nous : il accompagne toute la vie.
« C’est lorsque ce sera dans un livre que cela ne fera plus souffrir. » (M. Duras)
Commentaires
Enregistrer un commentaire
J'aime les commentaires : ça me donne de l'audace !
N'hésite pas à poster ton avis, une idée, une blague, une remarque. Tout ce que tu veux, tant que c'est bienveillant !